L'Engrange-Temps - T2 - Les heures obscures by Nell Pfeiffer

L'Engrange-Temps - T2 - Les heures obscures by Nell Pfeiffer

Auteur:Nell Pfeiffer
La langue: fra
Format: epub
Tags: Jeunesse, SF/Fantastique
Éditeur: Hachette
Publié: 2024-03-28T04:00:00+00:00


Chapitre 19

Le fiacre cahotait sur les pavés et berçait Sophie. L’esprit cotonneux, les paupières lourdes, elle regardait filer le paysage à travers la fenêtre. Ces dernières heures éreintantes s’ajoutaient à la fatigue accumulée depuis la mort d’Eryk Kauffmann. Elle ignorait combien d’heures elle avait dormi en tout, mais ce n’était pas assez. Pas assez pour assimiler ses récentes découvertes, pas assez pour accepter la réalité, pas assez pour l’empêcher de perdre pied.

— Dis donc, lança soudain Astoria, assise en face d’elle, je te pensais bien plus vive! Tu as l’air apathique.

— Le sommeil est une denrée rare, ces derniers jours.

Astoria gloussa. Ses cheveux remontés en chignon frôlaient le plafond capitonné. L’habitacle de ce fiacre de fonction semblait bien trop étroit pour elle.

— Le sommeil, n’est-ce pas surfait? Il y a trop à faire pour rester inerte en position allongée sur un matelas souvent inconfortable.

— Avez-vous passé un pacte avec le Temps pour être insensible au manque de repos?

— Quand on vieillit, jeune fille, les doigts narcotiques de la nuit nous épargnent davantage. Et en ce moment, c’est bien mieux ainsi.

L’amertume gorgeait sa dernière phrase. Sophie pouvait presque en sentir l’acidité sur sa langue, comme si ce sentiment lui appartenait. Elle n’avait pas la prétention de comprendre Astoria, mais elle sut que les cauchemars la hantaient, elle aussi. La Guerre des Rouages devait l’avoir marquée au fer rouge, comme cela avait été le cas pour Jean.

— J’aimerais pouvoir en dire autant, déclara-t-elle.

— Comment vas-tu? Concrètement, insista Astoria.

Sophie avait l’impression que ses orbites s’enfonçaient dans son crâne, que ses muscles se changeaient en pierre et que sa peau luisait comme un miroir au soleil.

— Mis à part la fatigue, je vais bien, mentit-elle.

Elle espérait s’en convaincre elle-même.

— Tu as été très courageuse cette nuit, c’est normal que les nerfs lâchent.

— Mes nerfs ne me lâchent pas…

— Un peu quand même, dit Farandole.

Soupir de lassitude chez Sophie. Sourire narquois du côté d’Astoria.

— Au début, j’étais comme toi, commença-t-elle. Je pensais que plus je lèverais haut la tête, moins je verrais la merde dans laquelle je m’enfonçais. Et lorsque ça n’a plus suffi pour dissimuler l’inévitable, j’ai tendu les bras.

Pourquoi Astoria semblait-elle déchiffrer ce que Sophie peinait à verbaliser? Elle comprenait la métaphore de sa grand-mère sans parvenir à l’assimiler. Se débrouiller seule signifiait sombrer seule. C’était l’unique solution qu’elle avait trouvée pour ne pas blesser ses proches, pour ne pas faire glisser le monde avec elle, comme une nappe qui emporterait toute la vaisselle dans son sillage.

— Et si, en tendant les bras, j’entraînais l’autre avec moi dans ma chute?

Astoria pencha la tête sur le côté. Son visage strié de rides était d’une singulière douceur, comparée à l’aura chargée qu’elle dégageait habituellement.

— S’ils sont plusieurs, il y a moins de chances que ça arrive.

— J’ai pas de bras, mais moi je suis là, Sophie.

— Merci, Far’…

Eux deux face au reste du monde. Sophie n’était pas près de l’oublier. C’est la main que sa grand-mère posa sur son poignet qui lui fit prendre conscience qu’elle tremblait.



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